Quand je suis au comptoir à la pharmacie, j’ai toujours un sourire sur les lèvres. Un sourire à la française qui dit « je suis tellement contente de vous voir » alors qu’en réalité, je pense à ce que je vais manger juste après. Quand c’est une part des lasagnes aubergine-tomate-basilic que J a préparé, là c’est vraiment un grand sourire. Je dois juste me rappeler de ne pas trop saliver sur le moment. Bon j’avoue; en vrai, je suis aussi parfois simplement contente de rencontrer certaines personnes et je pense plus souvent à la posologie qu’à mon repas de midi. Bref, depuis pas longtemps, j’essaie, j’expérimente et j’apprends.

Enfin, apprendre, ça je l’ai tout le temps fait depuis que j’ai commencé à gazouiller mais plus particulièrement maintenant à propos des interactions sociales rapides (placer deux mots avec plus de trois syllabes côte à côte fait tout de suite plus sérieux). Jusque là, je n’avais jamais vu défiler autant de visages inconnus dans la même journée alors j’en profite pour tester des combinaisons inédites. Si je fait un sourire, les clients deviennent des patients. Ils sont réceptifs et presque complaisants. Si je n’en fait pas, ils sont hagards, pressés, tout juste oppressants et heurtent presque le comptoir.

Et si je fait une grimace. Eh bien ils ont tendance à s’inquiéter. Rien de bien compliqué finalement. C’est comme un miroir déformant où l’on aurait tendance à voir nos expressions se trouver amplifiées sur le visage des gens. Alors je me suis fais un petit dictionnaire des sourires. Une sorte d’abécédaire du visage et de son langage. J’y ai tout noté. Depuis les sourires chaleureux à ceux amoureux. Des sourires charmeurs jusqu’à ceux hypocrites. Ceux qui sont un peu tristes aussi. Les sourires complices, les figés et les bienveillants. Ceux qui sont juste heureux, un peu naïfs, totalement spontanés et les autres malicieux.

Pour les cas plus extrêmes, je garde en réserve une expression un tantinet plus menaçante. Alors quand ils rentrent dans l’officine à la seconde même où l’on ferme façon Fort Boyard en se jetant sous le rideau de fer, j’ai un sourire légèrement crispé. Celui là dit plutôt « y’a intérêt à ce que ce soit ultra important ». Pour ce genre de sourire là, je laisse voir mes canines. Celles que tout le monde trouve super pointues.

Bon, dans tout ça il y a aussi les sourires sans nom. Ceux que je distribue sans compter. Ceux que je ne sens même pas venir. Ils fleurissent au moments les plus inattendus. Même quand j’ai faim. Même quand je suis fatiguée ou à peine réveillée. Ils sont ceux qui illuminent ma journée. Ceux que je retiens et qui constituent aussi parmi mes plus beaux souvenirs.